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Ils étaient tous les deux à l’herbarium, dans la cabane de Cadfael, dans l’après-midi de ce vingt-cinquième jour de mai, et ils s’entretenaient de problèmes préoccupants concernant le royaume, de rois, d’impératrices et des fortunes changeantes qui accablaient les malheureux rivaux à la couronne.

— Enfin, elle n’a pas encore été couronnée ! dit Hugh, presque aussi fermement que s’il voyait un moyen d’empêcher cela.

— Elle n’est même pas encore à Londres, acquiesça Cadfael qui tournait soigneusement le breuvage de la marmite nichée parmi les charbons du brasero, de façon qu’il n’attache pas aux bords, ni ne brûle. Il est hors de question qu’elle reçoive la couronne avant qu’on la laisse pénétrer à Westminster. Et apparemment, s’il faut en croire ce que j’ai entendu dire, ils sont rien moins que pressés.

— Ceux qui ont souffert du froid se réunissent là où le soleil brille, constata Hugh, à regret. La cause que je défends, mon ami, passe de la lumière à l’ombre. Quand Henri de Blois retourne sa veste, tous l’imitent, comme des affamés groupés dans le même lit. Il tire la couverture au bord de laquelle s’accrochent ceux qui le suivent.

— Pas tous, objecta Cadfael, avec un bref sourire, en continuant son travail. Pas vous. Croyez-vous être le seul ?

— À Dieu ne plaise ! s’exclama Hugh, et dans un grand éclat de rire, il secoua ses idées noires.

Il s’écarta de l’encadrement de la porte, là où la lumière pure répandait une douce patine dorée sur les buissons et les parterres du jardin aux simples, et l’air de midi, chargé d’humidité, se remplit de la langueur entêtante des lourdes odeurs épicées. Sa silhouette mince s’arrondit de nouveau sur le banc contre le mur en planches, et il étendit ses jambes bottées sur le sol en terre battue. C’est vrai qu’en un sens il était petit, mais avec un corps d’une extrême élégance. Sa stature modeste et légère en avait trompé plus d’un, qui s’y était laissé prendre. Au-dehors, les rayons du soleil, troublés par la brise qui agitait les buissons, se réfléchissaient sur l’un des grands flacons de verre de Cadfael et éclairaient de temps à autre un fin visage bruni, rasé de près, à la bouche subtile et aux sourcils bruns mobiles qui, quand il se montrait sceptique, pouvaient monter en accent circonflexe presque jusqu’à ses cheveux noirs coupés court. Un visage à la fois expressif et indéchiffrable. Frère Cadfael était l’un des rares êtres à savoir le déchiffrer, justement. On pouvait même se demander si Aline, l’épouse de Hugh, le comprenait mieux. Cadfael allait sur soixante-deux ans, et il s’en fallait encore d’un ou deux ans que Hugh n’atteignît la trentaine. Cependant, liés par l’amitié, assis côte à côte dans l’atelier de Cadfael, parmi les plantes médicinales, ils se sentaient presque du même âge.

— Non, dit Hugh, en considérant attentivement la situation et en s’installant plus confortablement, pas tous. Il reste encore un certain nombre de gens et pas si mal placés que ça pour conserver ce que nous possédons. Il y a la reine dans le Kent avec son armée. Robert de Gloucester ne va pas rebrousser chemin pour nous tomber dessus, alors qu’elle rôde dans le sud de Londres, pas bien loin de la ville. Et avec les Gallois de Gwynedd qui protègent nos arrières contre le comte de Chester, on peut tenir le comté au nom du roi Etienne, attendre et voir venir. Quand la chance a tourné une fois, elle peut tourner à nouveau. L’impératrice n’est pas encore reine d’Angleterre.

Tout cela était bel et bon, songea Cadfael, remuant silencieusement sa potion pour purger les veaux de frère Aylwin, il y avait quand même de bonnes raisons de penser que l’issue ne tarderait peut-être plus. Au bout de trois ans de guerre civile entre cousins qui se disputaient la souveraineté de l’Angleterre, il n’y avait aucun signe de rapprochement entre les factions rivales et guère d’amélioration pour l’ensemble de la population, accablée par l’insécurité, le pillage et les massacres. L’artisan en ville, le villageois, ou le serf travaillant sur une propriété ne seraient que trop heureux si un monarque quelconque pouvait leur garantir un pays calme et bien policé où exercer leurs modestes activités. Mais un homme de la trempe de Hugh ne voyait pas les choses avec autant de détachement. Il était le vassal fidèle du roi Etienne, et maintenant shérif du Shropshire pour ce même roi Étienne, dont il avait juré de défendre le comté et la cause. Et son roi était retenu prisonnier au château de Bristol depuis la défaite de Lincoln. En une seule journée de février de cette même année, la fortune des deux rivaux à la couronne avait changé de camp. L’impératrice Mathilde avait le vent en poupe et Étienne, tout couronné et oint du Seigneur qu’il était, se trouvait dans un cul-de-basse-fosse surveillé de près et sous bonne garde. Quant à son frère, Henri de Blois, évêque de Winchester et légat du pape, le plus influent, et de loin, de tous les princes de l’Église et jusque-là fidèle à son frère, il se trouvait confronté à un dilemme : il avait le choix entre jouer les héros et adhérer de la façon la plus nette et ferme au parti de son choix, risquant ainsi l’hostilité redoutable d’une femme sur la pente ascendante qui pouvait s’avérer dangereuse, ou bien naviguer selon le vent, s’accommoder des revers du sort et se ranger à ses côtés. Discrètement, cela s’entend, et après avoir soigneusement préparé ses arguments pour éviter une volte-face déshonorante. Il se pouvait aussi que Henri ait vraiment à coeur la cause de la paix et de l’ordre et tienne à soutenir celui des cousins ennemis qui les restaurerait, songea Cadfael désireux de ne pas se montrer injuste, fût-ce envers un évêque.

— Ce qui m’exaspère, déclara Hugh, en s’agitant, c’est qu’on ne puisse avoir aucune nouvelle sûre. Des rumeurs, ça n’est pas ce qui manque, il en circule de partout, et chacune dément la précédente, mais rien sur quoi on puisse mettre la main, ni en quoi on puisse avoir foi. Je ne serai pas fâché du retour de l’abbé, c’est moi qui vous le dis.

— Ce sera le cas de chacun de nous dans cette maison, acquiesça Cadfael du fond du coeur. A part Jérôme, peut-être. Quand le prieur Robert assure l’intérim, le roi n’est pas son cousin. Et il s’en est donné à coeur joie toutes ces dernières semaines, depuis que l’abbé a été appelé à Winchester. Nous ne sommes guère nombreux ici à apprécier d’être sous la férule de Robert, vous pouvez me croire.

— Depuis combien de temps est-il parti ? demanda Hugh. Sept ou huit semaines ! Il y a de la mitre plein la cour du légat, ces derniers temps. Maintenir son autorité l’aide sans doute à affronter celle de la dame. Henri n’est pas homme à se laisser marcher sur les pieds, même par un souverain, et il a besoin derrière lui de tout le poids qu’il pourra trouver.

— Il a quand même lâché un peu de terrain, avec tout ça, dit Cadfael. C’est peut-être le signe qu’ils sont arrivés à une manière d’arrangement. À moins qu’on ne le lui ait simplement laissé croire. Le père abbé nous a envoyé un mot de Reading. Il devrait être revenu d’ici une semaine. Vous ne sauriez trouver meilleur témoin.

L’évêque de Winchester avait pris grand soin de garder par-devers lui la direction des opérations. En convoquant tous les prélats et autres abbés mitrés à Winchester au début avril, et en déclarant sans ambiguïté que cette réunion était un concile de légat, et non une simple assemblée ecclésiale, il s’était assuré la suprématie sur les discussions qui s’ensuivraient, ce qui lui donnait le pas même sur l’archevêque Théobald de Canterbury qui, en terme de questions religieuses strictement anglaises, était son supérieur. Ce n’était pas vraiment un mal. Cadfael ne pensait pas que Théobald avait vraiment pris ombrage de s’être ainsi retrouvé au second plan. Dans de telles circonstances, un homme paisible et timoré ne serait que trop content d’être ainsi relégué à l’ombre, tranquillement, et de laisser le légat s’exposer seul à la chaleur du soleil.

— Je sais. Une fois que j’aurai entendu son récit des événements, je pourrai prendre mes dispositions en conséquence. Nous sommes plutôt loin par ici, et la reine, que Dieu la garde, a réuni des forces non négligeables, maintenant qu’elle a les Flamands qui s’en sont sortis à Lincoln pour grossir ses troupes. Elle remuera ciel et terre pour sortir Étienne de sa prison, et pour ça, tous les moyens seront bons. C’est un meilleur soldat que son seigneur et maître, dit Hugh avec conviction. Je ne veux pas dire sur le champ de bataille – Dieu sait qu’il faudrait parcourir toute l’Europe pour trouver son égal, je l’ai vu à l’oeuvre à Lincoln, une merveille ! Mais un meilleur général, aucun doute là-dessus. Elle ne perd jamais son but de vue, là où lui se fatigue et s’intéresse à une autre proie. À ce qu’on me dit, et je le crois, elle se rapproche de plus en plus de Londres, au sud du fleuve. Plus sa rivale se rapprochera de Westminster, et plus le fil se resserrera autour d’elle.

— Est-il certain, d’abord, que des Londoniens aient accepté de laisser entrer l’impératrice ? À ce qu’il paraît, ils se sont réunis tard en conseil, et ils ont rédigé une supplique dénuée d’agressivité, avant de s’apprivoiser. Il faut avoir du coeur au ventre, j’imagine, pour tenir tête à Henri de Winchester et aller contre lui, concéda Cadfael avec un soupir.

— Oui, ils sont tombés d’accord pour lui ouvrir les portes, ce qui revient à la reconnaître. Mais ils ont posé leurs conditions ; c’est du moins ce qu’on m’a dit et chaque minute de gagnée vaut son pesant d’or pour Etienne et moi. Si seulement je pouvais introduire un homme capable dans Bristol ! s’exclama Hugh et la lumière dansante sculpta soudain chaque trait de son visage tendu et expressif. On peut toujours s’arranger pour pénétrer dans un château, et même dans les oubliettes. Deux ou trois hommes courageux et discrets y parviendraient. Une poignée d’or pour un geôlier insatisfait... Ce n’est pas la première fois qu’on aura été chercher un roi, même enchaîné, et ce n’est pas son cas. Elle n’a pas encore été jusque-là, pas encore. Cadfael, je rêve ! Mon travail est ici, et je m’en sens à peine capable. Et puis je n’ai pas les moyens d’emporter Bristol.

— Une fois libéré, suggéra Cadfael, votre roi aura grand besoin de ce comté.

Il s’éloigna du brasero, retira la marmite, qu’il laissa refroidir sur une dalle de pierre, placée là spécialement à cet effet. Quand il se redressa, son dos craqua un tantinet. Dans ce genre de circonstances mineures, il sentait qu’il n’avait plus vingt ans. Mais une fois droit, il donnait le change.

— Voilà, j’ai fini ici pour le moment, dit-il, se frottant les mains pour faire disparaître les traces laissées par les deux anses. Allons à la lumière, on jettera un coup d’oeil aux fleurs qu’on apportera pour la fête de sainte Winifred. Le père abbé sera rentré à temps pour la recevoir en personne depuis Saint-Gilles. Et nous aurons un bon nombre de pèlerins sur les bras.

 

On avait rapporté le reliquaire de Gwytherin, où elle était enterrée, quatre ans auparavant, et on l’avait installé sur l’autel de l’église, à l’hospice de Saint-Gilles, tout près du faubourg de la Première Enceinte de Shrewsbury, là où les malades, contagieux, contrefaits, les lépreux qui n’avaient pas le droit de s’aventurer intra-muros, étaient logés et soignés. Et de là, on avait apporté la châsse en grande pompe jusqu’à son autel, dans l’église abbatiale, qu’elle servirait à décorer, tout en étant objet de prière, de guérison et de bénédiction pour tous ceux qui venaient s’incliner devant elle, ou pour lui demander une faveur.

Cette année, il avait été décidé de refaire ce dernier voyage, de l’amener de Saint-Gilles en procession et d’ouvrir son autel à tous ceux qui s’y rendraient avec des prières et des offrandes.

Chaque année, elle avait attiré de nombreux pèlerins. Cette année, ils seraient légion.

— On pourrait se demander si vous ne vous préparez pas plutôt pour un mariage, dit Hugh, les pieds soigneusement posés parmi des parterres de fleurs qui commençaient tout juste à passer des douces couleurs timides du printemps au flamboiement de l’été.

Des haies de noisetiers et d’aubépines répandaient leurs pétales d’argent et des chatons clairs et vert pâle tremblaient partout dans l’enclos où ils se tenaient, plus loin dans l’herbe de la prairie des coucous se redressaient et les iris tendaient leurs bourgeons serrés. Même les roses offraient leurs myriades de bourgeons très droits, prêtes à s’ouvrir et à offrir leurs premières corolles. Dans le jardin clos, là où Cadfael avait ses herbes médicinales, il y avait de gros bouquets de pavots dont le fourreau vert commençait à éclater. Cadfael se servait des graines pour ses remèdes et frère Petrus, le cuisinier de l’abbé, les utilisait comme épices pour ses recettes.

— Et il pourrait bien y avoir de ça, qui plus est, dit Cadfael, couvrant d’un oeil complaisant les fruits de ses travaux. Un mariage éternel et pur. Cette petite Galloise est restée vierge jusqu’au jour de sa mort.

— Et vous l’avez mariée depuis ?

Ce fut dit d’un ton badin, après la conversation grave qu’ils avaient eue sur les affaires de l’État. Dans un pareil jardin, on pouvait croire sans peine à la paix, l’amitié et la procréation. Mais cette remarque anodine rencontra soudain un silence d’une profondeur si prenante que Hugh tendit l’oreille et tourna la tête pour observer son ami, avant même que ne jaillît sa réponse. Il n’aurait su dire toutefois si cette spontanéité avait été involontaire ou intentionnelle.

— Mariée, je ne dirais pas cela, souffla Cadfael, mais mise au lit, sans aucun doute. Avec un brave homme, par-dessus le marché, qui l’a défendue fidèlement. Il méritait sa récompense.[1]

Surpris, Hugh leva un sourcil et jeta, par-dessus son épaule, un regard vers le long toit de l’église abbatiale où, paraît-il, la dame en question reposait dans un reliquaire scellé sur son propre autel : un cercueil élégant juste assez grand pour contenir une petite sainte galloise, à l’ossature fine et compacte propre à sa race.

— Ça ne laisse guère de place pour deux personnes, dit-il doucement.

— Non, en effet, pas pour deux êtres de notre grossière étoffe. Mais là où on les a mis, la place ne manquait pas.

Il savait qu’on l’écoutait à présent, avec la plus extrême attention, à défaut de le comprendre encore.

— Qu’est-ce que vous me chantez là ? s’étonna Hugh, sans élever la voix. Qu’elle n’est pas dans votre beau reliquaire ouvragé, là où chacun sait qu’elle se trouve ?

— Que voulez-vous que je vous dise ? J’ai plus d’une fois souhaité qu’on puisse être à deux endroits à la fois. Ce ne serait guère possible pour moi, mais pour une sainte, qui sait, ça l’est peut-être. Elle y a reposé trois jours et trois nuits, ça, j’en suis certain. Peut-être y a-t-elle laissé quelque chose de sa sainteté – ne serait-ce que pour nous remercier, nous qui l’en avons ressortie et qui l’avons remise là où je crois encore et croirai toujours qu’elle souhaitait reposer. Mais malgré tout cela, il y a un léger doute qui me tourmente, reconnut Cadfael en hochant la tête. Et si je m’étais trompé sur ses intentions ?

— Vous n’auriez plus alors qu’à recourir à la confession et à la pénitence, répliqua Hugh d’un ton léger.

— Pas avant que Mark ne soit devenu prêtre à part entière !

Le jeune Mark avait quitté le couvent dont il dépendait et ses ouailles de Saint-Gilles pour la maison de l’évêque de Lichfield, avec la bourse que lui avait accordée Léoric Aspley pour payer ses études[2], et le but suprême qu’il s’était fixé lui apparaissait clairement dans le lointain, cette prêtrise pour laquelle Dieu l’avait élu.

— Je mets de côté pour lui tous ces péchés dont je sens, à tort ou à raison, qu’ils n’en sont pas. Pendant trois ans, je l’ai tenu pour mon bras droit et je l’ai chèrement aimé ; il me connaît mieux que personne, sauf vous peut-être, ajouta-t-il, et il adressa un innocent regard en coin à son ami. Je ne lui cacherai rien de la vérité ; selon son jugement et pour son absolution, j’accepterai volontiers n’importe quelle pénitence. Vous pourriez à la rigueur me juger, Hugh, mais vous ne sauriez me donner l’absolution.

— Ni la pénitence non plus, rétorqua-t-il en riant sans contrainte. Allez, racontez-moi tout, et vous vous en irez librement.

Cadfael se surprit à trouver attirante l’idée de se confier.

— C’est une longue histoire, je vous préviens.

— Eh bien, c’est le moment. J’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir ; tout ce qu’on attend de moi, c’est d’ouvrir l’oeil et d’être patient. Alors, je ne vois pas pourquoi je resterais à me tourner les pouces au lieu d’écouter une bonne histoire ? Quant à vous, vous êtes libre jusqu’à vêpres. Ouvrir votre âme au bras séculier – si j’ose dire – peut même vous valoir une certaine indulgence, insista Hugh, s’efforçant de prendre l’air solennel d’un prêtre. J’ajouterai que moi aussi, je sais garder le secret de la confession.

— Bon, attendez, je vais aller chercher un peu de ce vin qui décante, après on ira s’installer sur le banc, sous le mur nord, là où donne le soleil de l’après-midi. Il n’y a pas de raison de ne pas être confortablement assis pendant que je parlerai.

 

— C’était environ un an avant qu’on ne se rencontre, commença Cadfael, s’adossant confortablement contre les pierres chaudes, rugueuses, du mur du jardin aux simples. Nous n’avions pas acquis de saint pour notre maison, et on louchait un tantinet du côté de Wenlock où les clunisiens avaient découvert Milburga, leur fondatrice saxonne, et ils en faisaient tout un plat. Et puis il y a eu des signes qui nous sont arrivés, et un de nos frères, qui ne se portait pas bien, a été envoyé au pays de Galles pour se baigner à Holywell, là où la petite Winifred est morte pour la première fois et a créé sa fontaine miraculeuse. Son directeur de conscience, saint Beuno, était là, tout prêt à la ramener à la vie, mais la fontaine est restée et a opéré des miracles. Il est revenu aux oreilles du prieur qu’il y avait moyen de convaincre la dame de quitter Gwytherin, où elle était morte – pour la seconde fois – et enterrée, et de la décider à venir à Shrewsbury, où elle transporterait sa gloire. J’étais l’un de ceux qu’il a emmenés avec lui pour traiter avec la paroisse en question et les amener à nous remettre les ossements de la petite sainte.

— Je sais tout cela sur le bout du doigt, dit Hugh, intéressé et attentif à ses côtés, comme tout le monde dans la région.

— Certes ! Mais vous ne savez pas ce qui en est ressorti. Il y avait un seigneur gallois à qui ça ne plaisait pas du tout qu’on dérange la demoiselle ; il a refusé de se laisser persuader ou acheter ; les menaces sont restées inopérantes. Bref, il ne voulait pas la laisser partir. Et puis il est mort, Hugh – assassiné. Par l’un des nôtres, un religieux sorti de la cuisse de Jupiter, et qui se voyait déjà évêque, enfin qui y comptait bien. Et quand nous en sommes pratiquement venus à l’accuser, c’était sa vie, ou celle de quelqu’un qui valait beaucoup mieux que lui. Il avait mis en grand danger certains jeunes gens du village, la fille du seigneur gallois assassiné et son ami. Le garçon a frappé sous le coup de la colère, non sans raison, quand il a vu son amie blessée, avec du sang sur elle. Il faut croire qu’il ne connaissait pas sa force car il a brisé la nuque de l’assassin.

— Combien êtes-vous à être au courant ? interrogea Hugh, plissant les paupières en contemplant les massifs de rosiers au feuillage brillant.

— Quand les choses se sont produites, seulement les amoureux, le mort et moi. Et sainte Winifred qu’on avait sortie de sa tombe et déposée dans cette châsse que vous et tout le monde ici connaissez. Elle savait. Elle était là. A partir du moment où je l’ai sortie, et mon Dieu, c’est moi qui l’ai arrachée au sol où elle reposait, c’est moi aussi qui l’y ai remise – ce dont je suis toujours satisfait –, à partir du moment où j’ai exhumé ces os minces, j’ai senti dans les miens qu’elle ne souhaitait qu’une chose : qu’on lui fiche la paix. Il était si petit, si sauvage, si calme, ce cimetière, avec sa petite église depuis longtemps désaffectée, ses fleurs des champs qui poussaient partout et ses monticules si modestes et verdoyants. Et en terre galloise ! La demoiselle était galloise, comme moi, son Église était celle des rites anciens ; que savait-elle de ce comté anglais, au bout du monde ? Et puis j’avais ces deux jeunes à protéger. Qui aurait accepté de les croire, ou moi, face à la toute-puissance de l’Église ? On aurait resserré les rangs pour étouffer le scandale, et on aurait enterré le garçon dans la foulée alors qu’il n’était coupable de rien, sauf d’avoir défendu sa bien-aimée. J’ai donc pris les mesures qui s’imposaient.

— Alors là, vous m’épatez ! s’exclama Hugh, dont les lèvres mobiles frémirent. Avec un religieux mort sur les bras et le prieur Robert à calmer...

— Vous savez, Robert est un être bien plus naïf qu’il ne le croit et puis ce religieux mort m’a donné un bon coup de main.

Il s’était efforcé de se construire une réputation de saint et de transmettre les messages de Winifred en personne – c’est lui qui nous a dit qu’elle cédait sa tombe à la victime du meurtre –, il était somnambule, il avait des visions, et il priait ardemment pour quitter ce monde et être emporté vivant au paradis... On lui a accordé cette grâce, c’est le moins qu’on lui devait. Il avait veillé seul dans la vieille église, et le matin où tout s’est terminé, il y avait son habit et ses sandales, réunis devant son prie-Dieu comme si son corps venait de les quitter, et partout des odeurs balsamiques et une pluie de fleurs d’aubépine. C’est ainsi que, d’après lui, la petite sainte l’avait déjà visité ; pourquoi Robert ne s’en serait-il pas souvenu et pourquoi n’y aurait-il pas cru ? Il était parti, n’est-ce pas ? À quoi bon le chercher ? Un modeste religieux de notre maison irait-il folâtrer dans les bois, au pays de Galles, nu comme au jour de sa naissance ?

— Qu’essayez-vous de me dire ? demanda Hugh avec prudence. Que ce qui se trouve dans le reliquaire n’est pas... Donc la châsse n’avait pas encore été scellée ?

Ses sourcils avaient rejoint ses mèches noires, mais sa voix douce n’exprimait plus aucune surprise.

— Eh bien... commença Cadfael, un peu gêné, triturant son nez brun et camus entre le pouce et l’index. Si, elle était scellée, mais si on sait s’y prendre on peut s’arranger avec un sceau sans que ça se voie. C’est l’un des petits talents dont je me souvenais, pas le plus honorable, mais sur le moment j’en ai quand même été drôlement content.

— Vous avez donc replacé la dame là où elle était primitivement avec son champion.

— C’était vraiment quelqu’un de très bien et il avait parlé en son nom avec beaucoup de dignité. Elle ne lui pleurerait pas la place qu’il prenait. J’ai toujours pensé qu’elle n’était pas fâchée contre nous, confia Cadfael. Depuis lors, elle a montré son pouvoir à Gwytherin, avec de nombreux miracles ; ce qui me convainc qu’elle n’est pas en colère. Mais ce qui me chiffonne un peu, c’est que jusqu’à aujourd’hui elle n’a pas daigné nous donner une marque véritable de sa bienveillance ici, pour rendre heureux Robert et apaiser mes scrupules de conscience. Oh ! il y a bien eu des petites choses, mais rien de véritablement significatif. Et si malgré tout je l’avais mécontentée ? Tant pis pour moi, qui sais ce que nous avons là-dedans, sur l’autel, et mea culpa si j’ai mal agi ! Mais qu’en sera-t-il de tous ces innocents qui eux ne savent pas, et qui viennent s’incliner en toute bonne foi, et qui espèrent ses faveurs ? Et si c’était moi l’instrument de leur déconvenue et de leur échec ?

— Je vois, dit Hugh, compatissant. Frère Mark serait bien inspiré de se dépêcher un peu pour les différents stades de son ordination et de revenir vite pour vous décharger de ce fardeau. À moins, ajouta-t-il avec un sourire brillant de ruse, que sainte Winifred ne commence par vous prendre en pitié et ne vous envoie un signe.

— Je ne vois toujours pas comment j’aurais pu procéder autrement, murmura Cadfael, méditatif.

Cette solution donnait satisfaction à tout le monde. Les jeunes étaient libres de se marier et d’être heureux, le village conservait sa sainte, et elle gardait ses compatriotes autour d’elle. Robert avait ce qu’il était allé chercher – du moins le croyait-il, ce qui revient au même. Quant à l’abbaye de Shrewsbury, elle avait sa fête, avec l’espoir justifié d’une hôtellerie pleine, d’un gain de prestige et d’argent.

« Ah si la sainte consentait seulement à montrer de l’indulgence pour ma façon de voir les choses, m’adressait un clin d’oeil pour me donner à comprendre que j’avais bien interprété ses intentions ! » se disait Cadfael.

— Et vous n’avez soufflé mot de cela à personne ?

— Jamais de la vie ! Mais tout le village de Gwytherin est au courant, admit Cadfael. Personne n’a parlé, ni n’en a éprouvé le besoin, mais ils sont au courant. Pas un homme ne manquait à l’appel quand on a emporté le reliquaire et qu’on a pris le chemin du retour. Ils nous ont donné un coup de main pour le transporter, et une petite charrette pour l’emporter. Robert a cru qu’on leur avait damé le pion, même à ceux qui s’étaient opposés à nous le plus violemment au début. Ça lui a été une grande joie. Au fond, c’est une âme simple ! Ce serait infiniment regrettable de le perturber maintenant, alors qu’il est très occupé à écrire son livre sur la vie de Winifred et sur la façon dont il l’a ramenée à Shrewsbury.

— Je n’aurais pas le coeur de lui causer une telle souffrance, protesta Hugh. Moins on en dit et mieux c’est. Dieu soit loué, je n’ai rien à voir avec le droit canon, le droit commun d’un pays presque sans loi me donne déjà assez de mal.

Il n’éprouva pas le besoin de préciser à Cadfael que son secret serait bien gardé, cela allait de soi de part et d’autre.

— Enfin, ajouta-t-il, vous parlez la langue de la demoiselle, je ne doute pas qu’elle vous aura compris assez clairement, avec ou sans l’aide des mots. Qui sait ? Lorsque ce sera le jour de sa fête – le vingt-deuxième jour de juin, dites-vous ? –, elle vous prendra peut-être en pitié, et vous enverra un grand miracle pour que vous retrouviez la paix de l’esprit.

C’est qu’elle en était bien capable, songea Cadfael une heure plus tard, en se rendant à l’office des vêpres, où l’appelait la cloche. Non pas qu’il eût mérité un aussi grand honneur, mais il y avait bien quelqu’un parmi le flot incessant de pèlerins qui, lui, en était digne, et qu’en bonne justice on ne saurait rejeter. Cette solution le rendrait parfaitement heureux et satisfait, en toute humilité. Quelle importance si la sainte se trouvait à environ quatre-vingts milles de là, dans ce qui restait de son enveloppe charnelle ? Elle qui avait vécu d’une vie miraculeuse, et avait été ressuscitée après avoir été brutalement assassinée, était-il possible d’enfermer un tel être dans les limites du temps et de l’espace ? Si ça lui chantait, elle pouvait être heureuse de partager tranquillement sa tombe avec Rhisiart là-bas, bercée par le chant des oiseaux dans les buissons d’aubépines, et ici, attentive et désincarnée, elle était la petite flamme de l’esprit, dans le cercueil du misérable qui avait tué non pour sa gloire à elle, mais pour la sienne propre.

Cadfael se rendit à vêpres, curieusement soulagé d’avoir confié à son ami un secret qui remontait à une époque où ils ne s’étaient pas encore rencontrés, d’abord comme adversaires potentiels cherchant chacun subtilement à se montrer plus malin que l’autre ; c’est seulement après qu’ils avaient découvert tout ce qu’ils avaient en commun, le vieillard – quand il était seul avec lui-même, Cadfael reconnaissait n’être plus tout à fait de première jeunesse – et le jeune homme qui commençait tout juste à s’affirmer, ayant reçu plus que sa part de perspicacité et d’esprit pour faire sa fortune et conquérir son épouse. Il avait réussi dans les deux cas, car maintenant il était shérif reconnu du Shropshire, même si son roi était captif et impuissant, et ici même, en ville, sa femme et son fils, âgé d’un an, constituaient un refuge pour son bonheur personnel, une fois qu’il avait refermé sa porte sur ses tâches professionnelles.

Cadfael pensa à son filleul, ce robuste petit démon, qui s’arrangeait gaillardement pour explorer les chambres de la demeure de Hugh à Shrewsbury, grimpait par ses propres moyens sur les genoux de son parrain et commençait à exprimer d’une façon parfaitement compréhensible son approbation, sa curiosité, son indignation et son affection. Quel homme n’a pas demandé un fils au ciel ? Hugh avait le sien, et ce jeune être était aussi prometteur que tant d’autres, sortis de la même lignée. Ainsi, par personne interposée, Cadfael avait un fils en Dieu.

En définitive, à considérer ce bas monde, le bonheur n’était pas la chose la moins partagée, même si le monde en question était déchiré et ravagé par les conflits, la cruauté et l’avidité. Il en avait toujours été ainsi, et ça n’allait pas changer de sitôt. Eh bien, ainsi soit-il, pourvu que ne s’éteigne jamais l’étincelle indomptable de la joie.

 

Au réfectoire, après le souper et les grâces, dans la tiédeur si agréable et la lumière qui se prolongeait en cette fin du mois de mai, alors que les moines reculaient leurs bancs pour quitter la table, Robert Pennant, le prieur, austère et maigre prélat à la tonsure d’argent et aux traits pâles comme l’ivoire, fut le premier à se lever, dominant les autres de sa haute taille.

— Mes frères, j’ai reçu un nouveau message de notre père abbé. Il a déjà atteint Warwick et il compte être parmi nous le quatrième jour de juin, peut-être même plus tôt. Il nous demande de nous montrer diligents et de nous préparer avec toute la dignité qui convient à célébrer la translation de sainte Winifred, notre très gracieuse patronne.

Ces instructions étaient peut-être celles de l’abbé, dont c’était le devoir, mais cet accent, cette insistance étaient de Robert lui-même, qui se considérait en effet comme le patron de leur patronne.

Son grand oeil aristocratique parcourut toutes les tables du réfectoire, s’arrêtant sur chacun de ceux dont la coopération était indispensable.

— Frère Anselme, avez-vous toute la musique en main ?

Frère Anselme, le premier chantre, qui consacrait le plus clair de son temps et de son attention à ses neumes et à ses instruments, leva la tête, un peu distrait, réveillé par cette question et le fixa, les pupilles dilatées.

— Tout est prêt, pour la procession tout entière et pour l’office, dit-il aimablement, un peu surpris qu’on puisse juger utile de poser la question.

— Et vous, frère Denis, avez-vous pris toutes vos dispositions pour remplir vos magasins et nourrir un nombre important de visiteurs ? Car nous aurons sans doute besoin de tous les lits et de tous les plats disponibles.

Frère Denis, habitué à ce genre de paniques et administrateur avisé de son domaine, assura calmement qu’il avait réuni toutes les provisions qu’il jugeait utiles, et de surcroît, il avait même constitué des réserves auxquelles on pourrait recourir si besoin était.

— Il y aura aussi de nombreux malades dont il faudra s’occuper, car c’est pour cela qu’ils viennent.

Sans attendre qu’on l’appelle, frère Edmond, l’infirmier, déclara d’un ton vif qu’il avait tenu compte des besoins probables et qu’il était prêt à répondre aux exigences qu’on pourrait formuler en matière de lits et de remèdes. Il signala aussi, puisqu’il était debout, que frère Cadfael avait fourni d’importantes quantités des médicaments dont il était probable qu’ils seraient les plus demandés, et qu’il se tenait prêt à satisfaire toute autre exigence s’il s’en présentait.

— C’est bien, dit le prieur. Maintenant notre père abbé a une requête particulière à nous adresser avant son retour. Il nous demande de dire des prières à chaque grand-messe pour le repos de l’âme d’un homme de bien, traîtreusement assassiné à Winchester, alors qu’il s’efforçait de maintenir la paix et de réconcilier les factions rivales, comme c’était son devoir de chrétien.

Pendant un moment, il sembla à frère Cadfael, et peut-être à la plupart de ceux qui étaient présents, que la mort d’un homme seul, là-bas dans le Sud, ne méritait pas vraiment une mention aussi solennelle ni une marque de respect aussi manifeste dans un pays où la mort était depuis si longtemps devenue banale, depuis le champ de bataille de Lincoln parsemé de cadavres jusqu’au sac de Worcester où le sang coulait dans les rues, depuis les massacres des barons sur une grande échelle perpétrés par des comtes sans allégeances jusqu’au sordide banditisme, dans les villages, là où la loi ne régnait plus. Puis il étudia la question de plus près, en essayant de se mettre à la place de l’abbé. Voilà un juste qu’on abattait dans la cité même où barons et prélats parlementaient et s’entretenaient de la paix et de la souveraineté, et qu’on abattait alors qu’il tentait d’empêcher les ennemis de se sauter à la gorge. Aux pieds mêmes, pour ainsi dire, de l’évêque-légat. C’était un sacrilège aussi noir que s’il avait été tué sur les marches de l’autel. Ce n’était pas la mort d’un homme dont il s’agissait, mais du symbole amer de la déréliction de la loi et du rejet de l’espoir et de la réconciliation. C’est ainsi que Radulphe avait interprété l’événement, et qu’il l’avait intégré aux offices de la communauté. Il s’agissait de l’hommage solennel qu’on devait à un mort, un mémorial dressé au ciel.

— On nous demande de dire des grâces pour la juste rétribution et des prières pour l’âme d’un certain Rainald Bossard, chevalier au service de l’impératrice Mathilde.

 

— Un ennemi à nous, remarqua, dubitatif, un jeune novice, évoquant cette question après, dans le cloître.

Ils avaient en effet tous totalement l’habitude de considérer la cause du roi comme la leur, car c’est sa loi qui régnait ici, harmonieusement, depuis quatre ans et qui protégeait ce coin de terre du chaos épouvantable dont souffrait tellement le reste de l’Angleterre.

— Pas vraiment, objecta frère Paul, le maître des novices, le reprenant gentiment. Aucun homme juste et honorable n’est un ennemi, bien que dans cette occurrence il puisse choisir le camp opposé. La loyauté de ce monde n’est pas notre affaire, mais nous devons l’avoir toujours présente à l’esprit en tant que vraie valeur, aussi contraignante pour ceux qui la reconnaissent que nos voeux le sont pour nous. Les prétentions des deux cousins sont en quelque sorte justifiées les unes et les autres. Et on ne saurait reprocher à personne d’avoir gardé sa foi, envers le roi comme envers l’impératrice. Quant à cet homme, c’était sûrement quelqu’un de bien, sinon le père abbé ne nous aurait pas ainsi recommandé de prier pour lui.

Frère Anselme qui répétait sans cesse, pensivement, les syllabes de ce nom, et tapait du doigt, selon leur rythme, sur la pierre du banc où il était assis, chantonnait à mi-voix :

— Rainald Bossard, Rainald Bossard...

Cet iambe répétitif demeura dans l’oreille de frère Cadfael et se fraya un chemin dans son esprit. Un nom qui ne signifiait rien pour quiconque ici, qui ne correspondait ni à une silhouette ni à un visage, à un âge ou à une personnalité jusqu’à présent ; un nom et rien de plus, c’est-à-dire soit une âme sans corps ou un corps sans âme. Ce nom l’accompagna jusqu’à sa cellule au dortoir, quand il récita ses dernières prières et se débarrassa de ses sandales avant de s’allonger pour dormir. Il en avait peut-être gardé un certain rythme dans son cerveau endormi, sans la nécessité d’un rêve pour le conserver, car sa première perception fut la double lueur silencieuse d’un éclair qui scandait le même iambe, et le réveilla sans qu’il eût encore ouvert les yeux, guettant la réponse du tonnerre – qui tarda tellement à venir qu’il crut d’abord l’avoir rêvée, et puis il l’entendit, très lointaine, très calme et cependant curieusement menaçante. Sous ses paupières closes, les éclairs paisibles étincelèrent puis moururent, et leur écho répondit si tard, si doucement, de tellement loin...

D’aussi loin peut-être que la cité légendaire de Winchester où l’on avait débattu de questions d’importance ; cet endroit, Cadfael ne l’avait jamais vu, et ne le verrait probablement jamais. Une menace émanant d’un endroit si lointain ne pouvait guère ébranler ni les fondations ni les coeurs de la communauté, pas plus que le tonnerre lointain ne saurait abattre les murs de Shrewsbury. Il avait cependant gardé dans l’oreille ce murmure ininterrompu d’inquiétude quand il se rendormit.

Le Pèlerin de la haine
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